Barack Obama a donné à l'Amérique un nouveau visage. L'espoir que suscite dans le monde le 44e Président des Etats-Unis est immense.
Pierre Beylau et Hélène Vissière à Wahsington
«A ussi longtemps que je vivrai, je n'oublierai jamais que nul autre pays au monde n'aurait rendu mon histoire possible » : ces paroles ont été prononcées le 18 mars 2008 à Philadelphie par le candidat Barack Obama lors d'un discours sur la « race en Amérique » qui se voulait fondateur. Elles ont été reprises presque mot pour mot, mardi soir, à Chicago, au coeur de la nuit, par un président élu auréolé d'une éclatante victoire : « Si jamais quelqu'un doute encore que l'Amérique est un endroit où tout est possible, qui se demande si le rêve de nos pères fondateurs est toujours vivant, qui doute encore du pouvoir de notre démocratie, la réponse lui est donnée ce soir . » Après vingt-deux mois d'une campagne épuisante et acharnée, Obama était d'un calme impressionnant.
L'élection de Barack Hussein Obama constitue un événement inoui, un véritable big bang politique. Mais, paradoxalement, ce n'est pas réellement une surprise : depuis deux mois, avec une régularité de métronome, les sondages créditaient le candidat démocrate d'une avance confortable non seulement sur le plan national mais aussi dans les fameux swing states où tout se jouait. Le contexte lui était favorable : les républicains étaient au fond du trou, la popularité de George Bush connaissait une chute abyssale et John McCain s'épuisait en efforts inutiles pour se dissocier de son bilan calamiteux. Cerise sur le gâteau : la crise qui ravage l'Amérique et le monde replaçait le débat sur le terrain économique, où McCain n'était guère à l'aise. Mais il subsistait une interrogation : dans le secret de l'isoloir, certains électeurs blancs tourmentés par un malaise identitaire n'allaient-ils pas, au dernier moment, refuser de voter pour un Noir ?
Mardi soir, le suspense a été de courte durée, les doutes dissipés aussi rapidement qu'une brume d'été sur les rives du lac Michigan. Avant que les douze coups de minuit sonnent sur la côte Est des Etats-Unis, la messe était dite : la Virginie et ses treize grands électeurs tombaient dans l'escarcelle démocrate. Vingt minutes plus tard, c'était au tour de la Floride, naguère encore fief de Jebb Bush, le frère du président, de basculer en faveur d'Obama. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées que John McCain concédait sa défaite avec le panache d'un vieux soldat : « Le peuple américain a parlé et parlé clairement », a-t-il déclaré devant un parterre de militants dépités. Le centurion couvert de blessures n'a pas démérité au cours de cette campagne. Mais trois choses lui ont été fatales. D'abord, ses contorsions politiques pour se mettre au diapason de l'aile la plus ossifiée du parti, lui qui, habituellement, faisait preuve d'indépendance d'esprit et affichait plutôt une attitude iconoclaste. Ensuite, le choix désastreux de la pittoresque Sarah Palin comme candidate au poste de vice-président : les Américains imaginaient mal que la pétulante chasseuse de caribou puisse occuper un jour le Bureau ovale. Enfin et surtout, le tsunami financier qui s'est abattu sur le pays : face à un Obama juvénile sûr de lui, qui renvoyait l'image d'un homme capable de relever de formidables défis, McCain a semblé vieilli, hésitant. Une phrase malheureuse-mais peut-être pas totalement fausse-prononcée au début de la crise lui est revenue en boomerang : « Les fondamentaux de l'économie américaine sont sains. »
Barack Obama entre donc dans l'Histoire comme le premier président noir d'une nation qui n'a aboli l'esclavage que voilà cent quarante-trois ans. « Pensez à la distance que nous avons parcourue depuis ma naissance en 1961 , disait il y a quelques mois le futur président. A cette époque, les mariages mixtes comme celui de mes parents sont interdits dans la moitié des Etats américains et la ségrégation règne toujours dans les bus des Etats du Sud, et il faudra attendre 1965 pour que tous les Noirs puissent réellement voter. »
Alors quand, dans la nuit de mardi à mercredi, le visage de Barack Obama est apparu sur les écrans de télévision avec la mention « 44e président des Etats-Unis », la communauté afro-américaine est, d'abord, restée pétrifiée d'incrédulité. « Jamais, je n'aurais imaginé de mon vivant voir un Noir président », commente pensif, Bruce Ransom, professeur à Clemson University, en Caroline du Sud et lui-même noir. Il se remémore le temps lointain où, adolescent, il écoutait les discours de Martin Luther King et avoue qu'il était un peu sceptique sur les chances de voir se réaliser dans un avenir prévisible le rêve d'égalité du pasteur.
Mais si Obama a conquis la Maison-Blanche, ce n'est pas en raison de sa « négritude » , mais grâce à son talent qui, justement, a fait oublier sa couleur de peau. L'élection du 4 novembre n'est pas un exercice de discrimination positive, une catharsis pour expier le péché originel de l'esclavage, compenser les humiliation infligées aux Noirs. C'est, simplement, la preuve de l'incroyable vitalité des Américains, de leur capacité à se remettre en question, à se régénérer. Obama était le meilleur et il a gagné.
Le nouveau président est atypique. Il est noir mais ne porte pas sur ses épaules le lourd fardeau de l'histoire américaine avec son cortège de haine et de ségrégation. Son père kényan était un notable. Il a fait ses études à Harvard (avec une bourse). Retourné au pays, il a été conseiller dans plusieurs ministères du Kenya, alors dirigé par Jomo Kenyatta. Malgré une généalogie complexe et une enfance ballottée de droite à gauche, Obama n'est nullement un damné de la terre. Il a bénéficié du soutien actif des milieux financiers. La presse était plutôt de son côté.
Il serait, cependant, prématuré d'assurer que l'élection d'Obama sonne le glas de la suprématie des WASP (Blancs, anglo-saxons protestants) sur la vie politique américaine. Il a fallu attendre 1960 pour voir un catholique, John Kennedy, s'installer à la Maison-Blanche, et il n'y en a pas eu d'autres depuis.
« Je ne crois pas que nous entrions véritablement dans une ère nouvelle. Il ne faut pas voir trop de choses dans la victoire d'Obama. Il y aura toujours de la discrimination. Les Noirs vont continuer à avoir une espérance de vie inférieure aux Blancs, à quitter le lycée plus tôt, à gagner moins, à être beaucoup plus nombreux en prison », tempère Andra Gillepsie, une Noire professeure de sciences politiques à l'université Emory.
Les Américains n'ont, en tout cas, pas choisi Obama pour se livrer à une introspection psychanalytique collective, mais pour qu'il résolve leurs problèmes. Le président élu s'y est soigneusement préparé. Méthodique, il a mis en place au cours de l'été une équipe de transition dirigée par John Podesta, ancien directeur de cabinet de Bill Clinton. Un livre blanc comportant 50 chapitres a été rédigé. Obama ne veut pas perdre de temps. Il a négocié avec les chefs des groupes parlementaires démocrates au Congrès pour que les futures nominations ne traînent pas trop, comme cela s'était produit sous Clinton. Car Obama a conscience que le temps presse. Sa première priorité sera, bien sûr, l'économie.
Son programme, dans ce domaine, a parfois un parfum de New Deal : création d'une banque d'investissement pour moderniser les infrastructures du pays, qui en ont un besoin urgent. Plan de 30 milliards de dollars pour aider les propriétaires frappés par la crise immobilière. Mais il veut aussi aussi alléger les impôts de ceux qui gagnent moins de 250 000 dollars par an, alourdir ceux qui frappent les revenus du capital. Surtout, son projet de couverture médicale pour tous les Américains coûterait 110 milliards de dollars.
Deuxième priorité du nouveau président : l'énergie. L'objectif est de réduire les émissions de CO2 de 80 % (par rapport au niveau de 1990) d'ici à 2050. Avec une diminution de 35 % de la consommation de pétrole à échéance de 2030, grâce, notamment, à la production de biocarburants. Obama prévoit 150 milliards d'investissement dans les énergies nouvelles. « Si nous inventons une nouvelle économie de l'énergie, nous créerons aisément 5 millions d'emplois », martelait-il pendant sa campagne. « C'est la nouvelle frontière et peut-être la prochaine bulle économique », pronostique un observateur bien placé qui estime que le nouveau président devra revoir à la baisse son ambitieux programme énergétique. Mais le meilleur atout du prochain locataire de la Maison-Blanche est ailleurs : ses compatriotes sont convaincus qu'il va insuffler une nouvelle dynamique au pays, redonner vigueur au rêve américain, qui paraissait s'étioler. A la veille de l'élection, les sondages faisaient apparaître que, dans ce pays traditionnellement optimiste où l'on croit dur comme fer au volontarisme, le pessimisme l'emportait.
Le président élu est aussi attendu sur les grandes affaires du monde. Il bénéficie d'une fenêtre d'opportunité qu'aucun de ses prédécesseurs ne pouvait espérer. D'un seul coup, l'image de l'Amérique s'en trouve métamorphosée. Le « Grand Satan » impérialiste prend brusquement le visage d'un jeune métis sympathique issu d'un mixage cosmopolite, portant un deuxième prénom, Hussein, à consonance musulmane, même si lui-même est tout à fait chrétien. De quoi embrouiller les zélotes les plus ardents de l'antiaméricanisme et offrir au nouveau président une marge de manoeuvre inédite. D'un bout à l'autre de la planète, en Asie comme en Afrique et dans le monde arabe, une obamania frénétique-et irrationnelle-s'est emparée des foules. De quoi changer la donne.
Il demeure que le président élu a du pain sur la planche : il devra gérer deux guerres sans perspective de victoires, l'Irak et l'Afghanistan. La facture de la première est salée : 10 milliards de dollars par mois. A Bagdad, il ne s'agit plus que de sauver les meubles afin d'amorcer un retrait sans perdre la face. On a donc eu recours aux vielles méthodes : jouer la carte tribale. Cent mille supplétifs sunnites (les Conseils de réveil), souvent d'anciens insurgés, ont été recrutés par l'US Army au tarif de 300 dollars par jour. Mais ils ne veulent pas passer sous l'autorité du gouvernement irakien dominé par les chiites et menacent de retourner à la rébellion. Dans ces conditions, le retrait du gros des troupes américaines dans les dix-huit mois préconisé par Obama est problématique. Le théâtre afghan, prioritaire aux yeux du nouveau président, n'est guère plus réjouissant. Washington demandera sans doute à ses alliés de faire un effort supplémentaire, mais pourrait bien être accueilli poliment mais fraîchement. Sur l'Iran, la tactique de la main tendue et de la fermeté pourrait se révéler, en revanche, plus payante.
Reste une inconnue : Obama aura-t-il les épaules assez larges pour faire face à une crise internationale majeure ? Les avis sont partagés. Les uns en sont certains, d'autres rappellent que, lors de la guerre en Géorgie, il a passablement pataugé et évoquent les risques d'un nouveau Jimmy Carter. Une chose est sûre : Barack Obama apprend vite, très vite et il a, jusqu'à présent, fait mentir tous les oiseaux de mauvais augure
L'homme le plus puissant du monde
439 milliards de dollars :
c'est le montant du budget de la défense des Etats-Unis, soit la moitié des dépenses militaires mondiales.
5 entreprises américaines
figurent parmi les 10 plus grandes firmes du monde.
13 000 milliards de dollars :
telle est la valeur du PIB des Etats-Unis, soit 20 % du PIB mondial.
368 milliards de dollars :
c'est la somme que les Etats-Unis consacrent à la recherche-développement tous acteurs confondus (Etat, universités, entreprises, fondations diverses). Soit 100 milliards de dollars de plus que l'Europe des Vingt-Sept.
122 milliards de dollars
sont versés à l'étranger au titre de l'aide économique.
1 000 milliards de dollars :
c'est le chiffre du déficit budgétaire prévisible. Avec une dette de 10 000 milliards de dollars
Le fair-play de John Mccain
« Il y a quelques instants, j'ai eu l'honneur d'appeler le sénateur Barack Obama pour le féliciter d'avoir été élu président du pays que nous aimons tous les deux. » « C'est une élection historique. Je reconnais la signification spéciale qu'elle a pour les Afro-Américains, et la fierté particulière qui doit être la leur ce soir. » « Le sénateur Obama a réalisé une grande chose pour lui et pour son pays, et je l'applaudis pour cela. »
L'élu des minorités ? (d'après les sondages à la sortie des urnes)
Obama McCain
Blancs 43 % 55 %
Noirs 95 % 4 %
Latinos 66 % 32 %
Asiatiques 61 % 35 %
La nuit électorale de la famille Oakley
C'est le début de la soirée de résultats et Charlotte, 9 ans, a installé deux écriteaux dans le salon. Sous celui de droite, qui porte la mention « Si McCain gagne », elle a placé une trousse de premier secours et une bouteille de vodka. Devant celui de gauche, intitulé « Si Obama gagne », elle a disposé un seau à champagne et deux flûtes. Pas besoin d'être grand clerc, la famille Oakley est à fond pour Obama.
La mère de Charlotte, Lisa, une blonde pétillante de 41 ans qui arbore un tee-shirt avec des têtes d'Obama façon Andy Warhol, a invité quelques voisins pour la soirée électorale dans sa jolie maison de Washington. L'assemblée est joyeuse mais anxieuse malgré tout. « En 2004, je croyais à la victoire de John Kerry, et puis il a perdu. Je suis restée prostrée au lit pendant deux jours », explique Lisa.
Cela fait des mois que cette ex-consultante en environnement qui vient de reprendre des études pour devenir travailleuse sociale suit la campagne intensément. Elle consulte au moins deux fois par jour les sondages, regarde différentes chaînes d'info, a participé à plusieurs galas de collecte de fonds... Cet après-midi, Lisa est allée voter. « Je me suis mise à pleurer dans l'isoloir. C'était l'aboutissement d'une très longue campagne et, en plus, je votais pour un Noir. J'imagine tout ce que ça signifie pour des millions de gens. » Hurlements du côté de la télé. Obama vient de remporter la Pennsylvanie. Un des Etats clés. Charlotte, qui n'a pourtant pas encore l'âge de voter, est « totalement pour Obama ». Pourquoi ? « Parce que, sinon, on va déménager au Canada », affirme-t-elle, sérieuse comme un pape.
Il y a encore plus nerveux que Lisa, c'est Hassan Murphy, un grand Noir. Mais il a de l'espoir. Un de ses amis blancs qui faisait du porte-à-porte pour la campagne d'Obama lui a raconté qu'il avait sonné à la porte d'une maison en Virginie rurale. Quand il a demandé à la dame pour qui elle comptait voter, elle a crié à son mari à l'intérieur : « Qui on soutient déjà ?-Le nègre », a répondu une voix. Elle s'est alors tournée vers le bénévole et lui a dit : « On vote pour le nègre ! »
Dans la famille Oakley, ce sont surtout les femmes qui vibrent. Brian, le mari, conseiller financier, est plus mesuré. « Obama représente un changement de direction et on en a besoin. Mais il y a tant de défis à régler après les élections. Pourtant, il faut qu'il gagne , ajoute-t-il, parce que, sinon, ma femme va être dans un état terrible... »
23 heures, CNN déclare Obama gagnant. C'est l'hystérie. Le chien, lui, s'est endormi sur le canapé. Normal, les chiens ne votent pas Hélène Vissière
George W. Bush à Barack Obalma, mardi soir au téléphone
« Je promets que cette transition se passera en douceur. Vous êtes sur le point d'entreprendre l'un des plus grands voyages de votre vie. Félicitations, je vous souhaite d'y trouver du plaisir »
Un si long chemin
Le révérend Jesse Jackson, compagnon de Marthin Luther King, avait été candidat à l'investiture démocrate en 1984 et 1988. Obama, lui, est allé jusqu'au bout. Présent à Chicago, Jackson n'a pu retenir ses larmes
L'autre vainqueur
David Axelrod, le stratège de la campagne d'Obama, est au coeur de tout. A 13 ans, il vendait des badges de campagne pour Bob Kenedy. A 58 ans, ce consultant politique est devenu un maître en la matière
http://www.lepoint.fr/presidentielle-americaine/un-tournant-historique/1585/0/289393
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